Créer des interfaces pour des systèmes complexes : le cas des organisations internationales

Les organisations internationales, qu’elles soient des agences de l’ONU, des institutions financières multilatérales ou des ONG, opèrent à l’échelle globale et doivent répondre à des besoins complexes et variés. Ces institutions administrent des programmes touchant des millions de personnes et impliquant de multiples parties prenantes. La conception d’interfaces utilisateur (UI) pour ces systèmes ne se limite pas à créer des écrans esthétiques : elle consiste à orchestrer une expérience cohérente qui simplifie la navigation à travers des flux de travail souvent denses, des volumes de données massifs, et des interactions entre acteurs aux intérêts parfois divergents. Il s’agit ici de rendre ces systèmes accessibles tout en maintenant leur efficacité.

Comprendre la complexité des systèmes administratifs internationaux

Les systèmes complexes que les organisations internationales administrent se caractérisent par une interconnexion de plusieurs niveaux d’utilisateurs : décideurs politiques, administrateurs, agents de terrain, et parfois même le grand public. Chaque groupe d’utilisateurs a des besoins différents, qui doivent être satisfaits sans compliquer l’expérience des autres. Par exemple, une plateforme de gestion de fonds dans une institution comme la Banque mondiale doit à la fois permettre aux pays membres de soumettre des demandes de financement, aux experts de les évaluer, et aux gestionnaires de projet de suivre l’exécution des fonds sur plusieurs années.

Le défi réside donc dans la manière dont les concepteurs UX abordent l’unification de ces flux d’interaction tout en s’assurant que chaque utilisateur trouve rapidement les outils et informations dont il a besoin. Une erreur fréquente est de tomber dans le piège de la surenchère fonctionnelle, en surchargeant l’interface d’options qui, loin d’améliorer la flexibilité, diluent la clarté et augmentent la complexité cognitive.

Stratégies UX pour la simplification des systèmes complexes

L’une des stratégies UX clés pour concevoir des interfaces destinées à des systèmes complexes est de structurer les informations de manière progressive. Cette approche permet aux utilisateurs de traiter l’information par couches successives, en accédant d’abord à un résumé ou un aperçu, puis à des détails plus spécifiques à mesure qu’ils avancent dans leur tâche. Prenons l’exemple d’une organisation comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui gère des bases de données mondiales sur des maladies. Une première couche d’informations pourrait présenter un tableau de bord global des épidémies en cours, avec des données à haut niveau. Ensuite, les utilisateurs plus spécialisés – tels que les épidémiologistes ou les décideurs locaux – peuvent plonger dans des rapports détaillés, des statistiques régionales ou des alertes spécifiques.

Une autre stratégie consiste à segmenter les utilisateurs et à adapter les interfaces en fonction de leur rôle et de leurs besoins. Cela implique d’identifier des « personae » utilisateurs et de concevoir des parcours spécifiques pour chacun. Par exemple, dans le cadre d’un système de gestion des réfugiés pour une agence comme le HCR (Haut-Commissariat pour les Réfugiés), les agents de terrain qui travaillent directement avec les réfugiés auront besoin d’une interface simplifiée, permettant un enregistrement rapide des données sur le terrain via des appareils mobiles. Les analystes basés au siège, quant à eux, nécessiteront une interface plus complexe, leur permettant de croiser des données démographiques, géographiques et logistiques pour prendre des décisions à long terme.

Modularité et évolutivité dans les systèmes internationaux

Les organisations internationales ont souvent besoin de systèmes évolutifs et modulaires. L’environnement dans lequel ces institutions fonctionnent est dynamique : les priorités politiques changent, les crises surgissent et les flux de financement se redirigent rapidement. La conception UX doit donc prévoir des interfaces capables de s’adapter à ces évolutions sans nécessiter des refontes lourdes et coûteuses. Cela passe par la création de systèmes de design (design systems) modulaires, où chaque composant d’interface est conçu de manière à pouvoir être réutilisé dans différents contextes.

Un exemple concret peut être trouvé dans l’interface de la plateforme de gestion des aides humanitaires de l’UNICEF, qui est conçue pour intégrer rapidement de nouveaux modules selon les besoins des situations d’urgence. Lors de la crise du COVID-19, des fonctionnalités spécifiques de suivi des vaccins et de distribution des équipements de protection individuelle ont été ajoutées sans compromettre les fonctions existantes. La modularité permet ici non seulement une plus grande flexibilité, mais aussi une meilleure gestion des ressources, en assurant que les équipes UX et de développement puissent travailler de manière agile.

La réduction de la friction cognitive dans les processus bureaucratiques

Les systèmes administratifs et bureaucratiques présentent souvent une forte friction cognitive en raison du nombre d’étapes à franchir et de la nécessité de traiter des données complexes. Pour atténuer cette friction, il est impératif de minimiser le nombre de décisions que l’utilisateur doit prendre à chaque étape. Cela passe par la mise en œuvre de workflows automatisés et d’une conception centrée sur les actions fréquentes ou prioritaires.

Dans une plateforme comme celle utilisée par l’Organisation internationale du travail (OIT) pour la gestion des conventions internationales, les utilisateurs doivent souvent naviguer entre plusieurs processus d’approbation. Une approche efficace a été de proposer une interface où les tâches les plus urgentes apparaissent en premier, avec des recommandations contextuelles basées sur les précédentes actions de l’utilisateur. Ce type de micro-personnalisation, rendue possible par des algorithmes d’intelligence artificielle, réduit non seulement la friction mais accroît également la productivité.

Conclusion : l’équilibre entre simplicité et efficacité

La création d’interfaces pour des systèmes complexes dans le cadre d’organisations internationales demande une réflexion fine et des solutions UX stratégiques. Les concepteurs doivent concilier simplicité et profondeur fonctionnelle, en veillant à ne jamais sacrifier l’efficacité des processus au profit d’une interface trop minimaliste. Cela implique de comprendre profondément les besoins des différents utilisateurs, de structurer l’information de manière intuitive et de créer des systèmes modulaires et évolutifs capables de s’adapter aux changements du contexte international.

L’UX, dans ce contexte, ne se contente pas d’améliorer l’expérience utilisateur : elle devient un levier pour accroître l’efficacité opérationnelle et la capacité de ces organisations à accomplir leur mission.